L'analphabète
Récit autobiographique
AGOTA KRISTOF
Dans ce mince volume, Mme Kristof retrace les moments décisifs de sa vie depuis sa naissance dans un petit village hongrois jusqu'à sa carrière à succès de romancière
C'est à 4 ans déjà, sous l'instigation de son père instituteur, qu'elle a attrapé la "maladie inguérissable de la lecture" même si celle-ci était considérée comme l'activité d'une paresseuse par son entourage
Toute petite déjà, l'auteur aimait raconter des histoires, à son frère Tila d'abord, puis à ses camarades d'internat
Elle s'est mise ensuite à écrire des poèmes, des sketches et un journal
Elle a appris qu'il existe des "langues ennemies", celle des Tziganes, la langue de l'occupant, le russe, et aussi le français qu'elle a dû apprendre à son arrivée en Suisse à l'âge de 21 ans et qui aujourd'hui "est en train de tuer ma langue maternelle." Elle se souvient de la mort de Staline en 1953, le célèbre "Père" et "phare lumineux", heureusement éteint à jamais, de la Russie, occupant qui a réussi à ruiner culturellement et économiquement ses pays satellites. Vient ensuite sa fuite par la frontière autrichienne en 1956, la demande d'asile et l'accueil dans une caserne de Lausanne
Après son installation à Valangin, l'auteur a commencé à travailler dans une fabrique d'horlogerie en ayant l'impression d'être dans un désert affectif: mal du pays, manque de famille et d'amis. Puis elle se met à écrire
Du théâtre d'abord, mis en onde par la Radio Suisse Romande en 1983, puis son premier roman, "Le Grand Cahier", refusé par Gallimard et Grasset mais que Seuil accepte enfin de publier, roman traduit aujourd'hui en 18 langues
L'auteur parle enfin de son sentiment d'avoir longtemps été une "analphabète" en Suisse car elle a dû apprendre à lire et à écrire le français à l'age de 26 ans, un effort de deux ans jusqu'à l'obtention de son Certificat d'Etudes françaises
Vos lecteurs, chère Madame, vous sont aujourd'hui profondément reconnaissants de votre effort
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En un cours récit en onze chapitres, Agota Kristof délivre son amour de la lecture puis de l'écriture tout en racontant son enfance hongroise où son père était instituteur et dans la classe duquel sa mère l'envoyait pour la punir et qui fut essentiel pour sa formation future, un peu comme Pagnol. Son exil vers la Suisse est vécu comme un rite de passage d'une langue à l'autre, mais aussi le passage à l'âge adulte comme celui de la lecture à l'écriture, de la "parole à l'écriture" :" Toute petite déjà j'aime raconter des histoires" . L'écriture est aussi une échappatoire durant les années noires dans un internat stalinien où le russe obligatoire devient une langue ennemie
L' écriture -comme elle le dit elle-même - est naturelle pour Agota Kristof : "Il faut tout d'abord écrire naturellement. Ensuite il faut continuer à écrire." C'est ainsi qu'elle a commencé à écrire des pièces de théâtre en français. Elle précise que quelle que soit la langue, elle aurait écrit de toute façon. Puis, modestement, l'auteure conclut : "Je sais que je n'écrirai jamais le français comme l'écrivent les écrivains de naissance, mais je l'écrirai comme je le peux, du mieux que je le peux."
Pari largement réussi car son style est d'une grande limpidité et par là même d'une grande profondeur. Agota Kristof met une distance ironique entre son destin et la narration. Aussi, bien qu'elle écrit naturellement, on la lit naturellement
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Les écrits d'Agota Kristof sont rares. Ils doivent donc se déguster. Ce petit livre (par la taille) est une mine d'or. Il s'agit du premier ouvrage autobiographique d'Agota Kristof, auteur de cette fameuse trilogie (Le Grand Cahier, La Preuve, Le Troisième mensonge) qui a parfois fait couler de l'encre dans la presse. Les dix courts textes rassemblés dans «L'Analphabète» ont été écrits juste après la trilogie. Ils dormaient dans des archives suisses (pays où habite Agota Kristof depuis 1956) et ressortent aujourd'hui, pour notre plus grand bonheur. Ces textes éclairent d'un jour nouveau la trilogie, permettent de comprendre pourquoi l'écriture a permis à cette jeune Hongroise de survivre dans un pays dont elle ne connaissait ni la langue ni les moeurs. C'est un livre sur l'intégration, l'apprentissage de la langue, mais aussi un livre sur l'écriture, la difficulté et la nécessité de l'écriture, même si cette écriture doit se faire dans une langue nouvelle. Dans un style dépouillé qui tente de faire oublier les sentiments, Agota Kristof se livre plus que jamais. Il faut lire ce livre pour comprendre et continuer à aimer l'un des plus grands écrivain contemporain
ÍíÇßã Çááå
Ï. ÃÈæ ÔÇãÉ ÇáãÛÑÈí
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